Combien de temps l'âme reste sur terre?
par Salima Bachar
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Il y a des silences qui pèsent plus lourd que les mots. Lorsqu’un être aimé quitte ce monde, un vide s’installe. Mais ce vide… est-il vraiment vide ? Ou est-ce un espace subtil, où l’âme veille, circule, murmure encore un peu ? En islam, ce passage entre la vie et l’au-delà s’appelle le Barzakh. Et non, ce n’est pas juste une notion vague ou abstraite. C’est une étape. Un entre-deux. Une frontière invisible où le temps ne coule plus de la même manière.
L’âme, ce voyageur suspendu entre deux mondes
Dans la tradition islamique, la mort n’est pas une fin. C’est un départ. Une transition. Un envol. Mais pas immédiat. Selon de nombreux savants musulmans, après que le corps ait rendu son dernier souffle, l’âme ne disparaît pas comme une flamme soufflée. Elle entre dans le Barzakh, un espace spirituel entre la vie terrestre et le Jugement Dernier.
On pourrait dire que l’âme se pose là, comme un oiseau en escale. Pas tout à fait partie. Pas encore arrivée. Cette période est mystérieuse. Elle n’a pas de durée fixe. Pas de compte à rebours clair. Le Coran ne donne pas de chiffre, pas de délai exact. Ce flou n’est pas un oubli. C’est un choix divin, un rappel que certaines choses ne nous appartiennent pas.
Que fait l’âme dans cet entre-deux ?
Beaucoup s’interrogent : est-ce que l’âme voit ? Entend ? Ressent ? Est-ce qu’elle plane au-dessus de ceux qu’elle aime ? Est-ce qu’elle visite ses proches ? Certains hadiths évoquent que les âmes peuvent entendre ce qu’on leur dit au moment de l’enterrement. D’autres traditions racontent que les âmes des justes se retrouvent dans un jardin verdoyant, dans la compagnie d'autres âmes apaisées. Il y a là une tendresse presque palpable. Une forme de continuité.
D’après certaines écoles de pensée, l’âme resterait proche de la Terre pendant un court moment – parfois trois jours, parfois plus – comme si elle avait besoin d’un dernier regard, d’un dernier adieu, d’un dernier souffle de souvenir. Rien de fixe, encore une fois. Mais une idée forte : le lien entre les vivants et les morts ne se coupe pas net.
Le rôle des vivants dans ce passage
Dans l’islam, on ne tourne pas la page trop vite. On accompagne. On prie. On offre des sourates, on récite la Fatiha, on fait des invocations pour alléger le passage de l’âme, pour l’entourer, comme on bordait un enfant le soir. Car l’âme entend. Elle ressent. Elle n’est pas seule.
Le troisième jour après la mort est souvent un moment clé. Dans certaines traditions culturelles musulmanes, on prépare un repas, on partage, on se remémore les qualités du défunt. Ce n’est pas un adieu brutal. C’est un au revoir doux.
Et le quarantième jour, très présent dans d’autres courants soufis ou traditions populaires, marque parfois une étape spirituelle : comme si, après cette période, l’âme s’élevait plus loin, plus haut, plus sereine.
Barzakh : pas une prison, un sas
Il faut l’imaginer, ce Barzakh. Ce n’est pas un purgatoire au sens occidental. Ce n’est pas une cellule d’attente froide et impersonnelle. C’est un sas. Un espace de transition. Pour certains, il est lumineux, apaisant, presque doux. Pour d’autres, il peut être inconfortable. Tout dépend de ce que l’âme a semé sur terre. Les actes, les intentions, les regrets… tout laisse une empreinte.
C’est un peu comme si l’âme retrouvait le goût de ses propres choix. Sans masque. Sans apparence. Juste la vérité nue. D’ailleurs, on dit parfois que le tombeau peut devenir un jardin du paradis ou un trou de l’enfer, selon la manière dont on a vécu.
Le mystère du temps divin
Mais alors, combien de temps l’âme reste-t-elle exactement avant le Jour du Jugement ? On aimerait une réponse précise. Une date. Un chiffre. Mais non. Rien de figé. Car ici, le temps humain n’a plus cours. Le Barzakh n’est pas mesurable en heures ou en années. C’est un temps suspendu, une boucle invisible. Le Prophète Muhammad (que la paix soit sur lui) a souvent insisté : certaines choses appartiennent à l’Inconnaissable. Et cette durée en fait partie.
Alors on accepte. On observe. On prie. On espère. Et surtout, on agit.
Une invitation à la conscience
Parler de l’âme après la mort, ce n’est pas juste une curiosité métaphysique. C’est une claque douce. Un rappel. Une invitation. À ralentir. À réfléchir. À purifier ce qu’on fait, ce qu’on dit, ce qu’on sème.
Car si l’âme reste un temps entre les mondes, si elle ressent, si elle se souvient… alors que laisse-t-on derrière nous ? Des blessures ? Des gestes d’amour ? Des dettes morales ? Ou des prières offertes comme des lanternes dans la nuit ?
Chaque action a une trace. Chaque choix, un parfum. Et quand on part, ce n’est pas un effacement. C’est juste un changement de pièce. Le cœur bat peut-être encore, autrement, ailleurs.