Qui était Abd al-Ghani al-Nabulsi?

par Salima Bachar

Abd al-Ghani al-Nabulsi : l’homme qui écoutait les rêves comme d’autres lisent les étoiles

Dans les ruelles de Damas, quand la nuit tombait, on disait que le silence changeait de couleur. Qu’il devenait bleu sombre, presque velours. Et dans ce silence-là, un homme écrivait. Pas des lois. Pas des traités politiques. Non. Il écrivait les mouvements de l’âme. Il traçait ce que les autres oubliaient au réveil. Ce que la lune murmure pendant le sommeil. Cet homme, c'était Abd al-Ghani al-Nabulsi, et son nom flotte encore aujourd’hui dans les cercles où l’on cherche à comprendre les songes.

Il ne rêvait pas pour rêver. Il rêvait pour décoder.

Et franchement ? Il le faisait bien.

Un mystique au cœur battant de l’Orient

Né à Damas en 1641, il appartenait à une famille de lettrés, de ceux qui dorment entre deux bibliothèques. Très tôt, il se passionne pour tout : la théologie, la poésie, la philosophie, la musique, le droit islamique. Mais là où d’autres s’arrêtent à l’étude, lui, il part en quête. De quoi ? D’un souffle. D’un lien. D’une vibration entre le visible et l’invisible.

Il devient soufi, ce courant spirituel de l’islam qui ne se contente pas de réciter. Le soufi, lui, respire Dieu. Il Le cherche dans les fleurs, les rêves, les silences, les gestes quotidiens. Al-Nabulsi s’inscrit dans cette voie-là, intense, mystique, pleine de feu et de douceur.

Le rêve, un messager qui ne ment jamais

Mais ce qui le rend vraiment unique, ce qui le fait encore rayonner quatre siècles plus tard, c’est son obsession pour les rêves.

Pas les cauchemars vite oubliés. Pas les bizarreries de fin de digestion. Non. Les vrais rêves. Ceux qui parlent une autre langue. Ceux qui font frissonner au réveil. Ceux qu’on n’ose raconter à personne, de peur qu’ils soient trop vrais.

Al-Nabulsi y voyait des signes. Des codes. Des messages.

Son ouvrage phare, c’est “Ta’tir al-anam fi ta’bir al-manam” – qu’on pourrait traduire, en simplifiant, par “Le Parfum des Âmes dans l’Interprétation des Rêves”. Rien que le titre donne envie de s’allonger sur un tapis et d’écouter. Et l’intérieur est à la hauteur : un dictionnaire symbolique des rêves, basé sur le Coran, les hadiths, et surtout sur des siècles de tradition soufie.

Un peu comme si un lexique des rêves avait été soufflé par les étoiles elles-mêmes.

Un dictionnaire… mais pas sec comme un vieux parchemin

Ce n’est pas un livre froid. C’est un livre qui respire. On y apprend que voir une pomme rouge peut signifier un amour intense. Que perdre une chaussure peut indiquer une séparation. Que monter à cheval peut annoncer l’élévation spirituelle… ou un voyage inattendu.

Et c’est ça, sa force : il relie les symboles à la vie.

Pas de généralités fades. Chez lui, chaque image onirique se tisse avec la culture, la religion, le contexte. Ce n’est jamais coupé de la réalité. Et pourtant, ça parle au ciel.

Le rêve dans la tradition orientale : un art subtil

Dans le monde arabe et musulman, le rêve n’est jamais anodin. Il est souvent vu comme une révélation, un avertissement, un guide. On le prend au sérieux. On le respecte. Et on va même jusqu’à consulter des interprètes, comme on consulte un médecin ou un savant.

Abd al-Ghani al-Nabulsi fait partie de ces grands noms qui ont donné une structure sacrée à l’interprétation onirique. Un peu comme Ibn Sirin avant lui, il comprend que le rêve est un miroir. Mais un miroir un peu sale. Il faut le frotter avec du sens pour y voir clair. Et c’est ce qu’il fait : il nettoie l’image, éclaire les zones floues, donne des clés. Pas pour tout comprendre. Mais pour mieux écouter.

Et aujourd’hui, que reste-t-il de lui ?

Beaucoup. Vraiment beaucoup.

Son livre circule encore dans les librairies islamiques au Maroc, en Égypte, au Liban, en Algérie. Des faiseurs de rêves, des imam, des mamans, des femmes de quartier, des chercheurs, s’y plongent pour tenter de lire entre les lignes du sommeil.

Sur Internet, son nom ressurgit dans les forums, les vidéos, les réseaux. Son travail revient dans les séances de voyance, dans les discussions à voix basse, dans les cercles spirituels. On demande : “Que voulait dire ce serpent ?” ou “Pourquoi cet oiseau s’est-il envolé dans mon rêve ?” Et souvent, c’est vers lui qu’on revient.

Même les plus jeunes, sans le connaître, sont parfois touchés par sa trace. Parce qu’il a ancré quelque chose de profond : le rêve comme pont entre Dieu et l’humain. Entre la confusion du monde et la clarté intérieure.

La symbolique selon Al-Nabulsi : des images qui parlent à l’âme

On ne peut pas parler de lui sans plonger un peu dans son bestiaire symbolique. Voici quelques exemples tirés de son œuvre :

  • L’eau claire : bonne nouvelle, sagesse, purification spirituelle.

  • Le feu : passion, punition, révélation divine, selon le contexte.

  • Le serpent : ennemi caché ou pouvoir enfoui.

  • Le miel : savoir sacré, paroles douces, mais parfois piège si consommé sans modération.

  • Le cheval : ascension, autorité, voyage.

Mais surtout, ce qu’il répète souvent : il faut interpréter selon la personne. Un rêve ne dit pas la même chose à un roi qu’à un mendiant. À une femme enceinte qu’à une jeune fille célibataire. L’univers parle, mais il parle dans une langue intime. Et ça, peu d’ouvrages le rappellent avec autant de finesse.

Ce que son héritage dit sur nous

Au fond, ce qu’Al-Nabulsi nous enseigne n’est pas seulement comment décoder un rêve.

Il nous apprend à écouter. À regarder autrement. À honorer les signes, petits ou grands. Il nous rappelle que les traditions orientales ont toujours su que la vie n’est pas qu’en plein jour. Que parfois, le vrai message vient quand tout est éteint, quand les bruits s’arrêtent, quand l’âme flotte entre deux mondes.

Il nous reconnecte à une époque où le mystère n'était pas une peur, mais une richesse.

Et ça, à l’heure où tout doit être rapide, clair, prouvé… c’est un luxe rare.

Un nom à ne pas oublier

Dans les pays du Maghreb comme dans ceux du Levant, le nom d’Al-Nabulsi résonne encore, comme un chant ancien. Il est cette voix qu’on consulte entre minuit et l’aube, quand un rêve colle à la peau, quand une image refuse de s’effacer. Il est ce gardien de la mémoire symbolique, ce poète des profondeurs, cet interprète qui ne prétend pas tout savoir mais qui guide avec délicatesse.

Dans un monde qui a parfois oublié ce que les songes peuvent dire, il reste un phare discret. Un sultan du silence. Un passeur entre les mondes.

FAQ – Les rêves selon Abd al-Ghani al-Nabulsi

Qui était Abd al-Ghani al-Nabulsi ?

Un érudit mystique du XVIIe siècle, né à Damas. Il faisait partie de ces savants habités par la lumière soufie. Savant, poète, juriste, voyageur… mais surtout interprète des songes. Chez lui, le rêve n’était pas un délire de l’inconscient, c’était un écho du divin, un message caché dans les plis du sommeil.

Quel est son livre le plus célèbre sur les rêves ?

Il s’agit de Ta’tir al-anam fi ta’bir al-manam. Un ouvrage monumental, consulté encore aujourd’hui par ceux qui cherchent à comprendre le langage caché de leurs nuits. C’est un vrai dictionnaire de symboles, écrit avec l’intuition d’un poète et la rigueur d’un théologien. Il y traduit l’invisible. Il donne du sens aux apparences.

Pourquoi les rêves ont-ils une telle importance dans l’islam ?

Parce qu’ils sont perçus comme des signes spirituels. Des messages potentiellement envoyés par Allah. Des fragments de vérité. Dans les hadiths, on retrouve l’idée que le rêve sincère est une part de prophétie. Et dans la tradition orientale, ça ne se prend pas à la légère. Le rêve, c’est une porte. Une clef. Une voix de l’au-delà.

Quels sont les types de rêves selon l’islam ?

Trois grandes catégories ressortent des sources classiques. Les rêves vrais, qui viennent d’Allah et portent une clarté inimitable. Les rêves sataniques, qui perturbent, effraient ou embrouillent. Et les rêves de l’âme, fruits de nos peurs, de nos désirs, de notre digestion même. Al-Nabulsi savait faire la part des choses. Il ne disait pas “tout rêve est un message”. Il disait : écoutez ce qui résonne.

Peut-on se fier à l’interprétation des symboles ?

Oui, mais avec prudence. Un serpent peut représenter un ennemi, ou une sagesse enfouie. Un cheval peut annoncer l’élévation, ou la colère. Tout dépend du rêveur, de son contexte, de sa spiritualité. Al-Nabulsi insistait : un rêve ne dit jamais la même chose à deux personnes différentes. L’art, c’est de l’écouter dans sa langue.

Est-ce qu'on peut encore utiliser son livre aujourd’hui ?

Bien sûr. Il est encore édité, commenté, étudié. Dans les cercles soufis comme dans les familles traditionnelles, son livre circule. On le consulte avec respect. Un peu comme un grand-père qu’on ne dérange pas pour rien, mais qui a toujours une réponse si la question est sincère.

Où trouve-t-on ses interprétations aujourd’hui ?

Dans les librairies orientales, dans les archives numériques, sur les étagères des mosquées. Mais aussi dans les mémoire vivantes, celles des grands-mères, des conteurs, des imams de quartier. Son nom revient dans les discussions du soir, quand un rêve a laissé une trace étrange. Il n’est jamais bien loin, dans la mémoire collective.

Que signifie rêver de feu, selon Al-Nabulsi ?

Cela peut annoncer une colère divine, un conflit, mais aussi une passion brûlante ou une purification. Comme toujours, tout dépend du rêve : brûle-t-il ou éclaire-t-il ? Fait-il peur ou réchauffe-t-il ? Chez lui, rien n’est binaire. Les symboles vivent. Ils parlent. Et ils changent de voix selon le rêveur.

Peut-on interpréter ses propres rêves ou faut-il un spécialiste ?

C’est possible. Mais Al-Nabulsi recommandait souvent de ne pas s’aventurer seul, surtout quand le rêve est dense ou troublant. Mieux vaut en parler à quelqu’un de sage, de neutre, de bienveillant. L’interprétation n’est pas un jeu. C’est un acte sacré, parfois même une forme de guérison.

Est-ce que les rêves annoncent toujours l’avenir ?

Non. Certains avertissent, d’autres expliquent le passé, d’autres encore viennent seulement apaiser. Il y a des rêves qui soignent, d’autres qui préviennent, et certains qui ne font que passer. Al-Nabulsi n’était pas un devin. Il était un lecteur de signes, pas un faiseur de promesses.

Que dit l’islam sur les mauvais rêves ?

On conseille de ne pas les raconter, sauf à quelqu’un de confiance. De cracher symboliquement trois fois à gauche, de demander protection à Allah, et de changer de côté en se rendormant. Le rêve perturbant n’a pas toujours de sens. Parfois, c’est juste un bruit. Parfois, un test. Mais il ne faut pas lui donner plus de pouvoir qu’il n’en a.

Est-ce que les rêves des femmes sont interprétés différemment ?

Oui, dans certains cas. Une femme enceinte, par exemple, peut rêver de fruits, de mers, de croissants… autant de symboles liés à la création, à la gestation. Le contexte personnel compte énormément. Al-Nabulsi tenait compte du genre, de l’état de vie, de l’intensité émotionnelle du rêveur. Pas de lecture figée. Juste du bon sens, et du cœur.

Est-il reconnu dans le monde sunnite ?

Oui, sans aucune ambiguïté. Al-Nabulsi appartenait à l’école hanafite, parfaitement en phase avec les fondements de l’islam sunnite. Son œuvre est respectée dans les institutions traditionnelles, les mosquées, les medersas. Il n’a jamais été en marge. Il a simplement exploré ce que d’autres n’osaient pas toujours regarder de trop près : l’invisible, le subtil, le sacré du sommeil.

NB – Entre histoire et inspiration

Certains éléments de cet article relèvent d’un style narratif et poétique. Ils visent à faire ressentir l’esprit d’Abd al-Ghani al-Nabulsi plus qu’à en dresser un portrait purement académique. Les faits historiques essentiels (dates, ouvrages, pensée soufie) sont exacts, mais les métaphores, images et scènes évoquées sont, elles, des choix d’écriture librement inspirés de son héritage. Ce texte cherche à transmettre une vibration spirituelle, pas une biographie exhaustive. Pour des sources strictement historiques, on pourra consulter les travaux d’islamologues spécialisés dans la tradition soufie.

L'œuvre d'Abd al-Ghani al-Nabulsi ne dort pas dans les vitrines poussiéreuses. Elle continue de circuler, notamment à travers l'édition "Les Merveilles de l'interprétation des rêves" (2012, Broché). Ce grand volume, riche de près de 2 500 entrées, donne un aperçu fascinant de sa méthode d’analyse, mêlant Coran, hadiths, poésie, proverbes et science du langage. On y trouve aussi cette idée lumineuse : le rêve peut être limpide ou allégorique, explicite ou secret. Un pont entre le visible et l’invisible, toujours ancré dans la sagesse islamique. À travers ce livre, l’héritage d’Al-Nabulsi continue de vivre, entre érudition, mystique et mémoire culturelle.

📘 Pour aller plus loin :

  • Sufi Visionary of Ottoman Damascus: ʻAbd Al-Ghani Al-Nābulusī – Elizabeth Sirriyeh, Routledge, 2005.

  • The Book of Dreams – traduction anglaise par Yasmine Seale, 2022 (PEN Award).

À propos de Salima Bachar

Salima Bachar est autrice pour La Maison des Sultans. Elle écrit avec la mémoire du sable, la douceur des rituels anciens et la richesse des secrets glissés entre les fêtes lumineuses et les rêves qui veillent. Beauté, bien-être, maison, voyages… Ses textes célèbrent les gestes discrets, les traditions vivantes et les symboles qui traversent le temps. Entre matières naturelles et récits sensibles, sa plume relie l’intime à l’universel, avec une voix sensorielle et profonde.

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Salima répond toujours : contact@lamaisondessultans.com

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