Bleu profond, bleu sacré : que signifie cette couleur dans les cultures orientales ?

Bleu profond, bleu sacré : que signifie cette couleur dans les cultures orientales ?

par Salima Bachar

Le bleu. Pas celui des jeans passés dix fois en machine. Pas celui des logos numériques. Non. Le bleu profond, dense, presque vivant. Celui qui évoque l’eau, le ciel, la nuit… et les prières silencieuses. Dans les cultures du Maghreb et du Moyen-Orient, cette couleur n’est pas décorative. Elle est symbolique, protectrice, enracinée. Elle habille les murs, les portes, les tissus, les gestes — parfois sans qu’on y pense, toujours avec une raison.

Une couleur qui éloigne le mauvais œil

Dans les médinas, les maisons peintes en bleu ne sont pas juste jolies. Elles repoussent le mauvais œil. On en voit à Chefchaouen, au Maroc, avec ses murs indigo. Ou dans le sud tunisien, autour des volets et des portes. Ce n’est pas un hasard. Dans la tradition, le bleu agit comme un rempart symbolique. Il trouble le regard envieux, détourne l’attention néfaste, bloque les énergies indésirables. Une sorte de barrière douce, mais puissante.

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le khamsa, la fameuse main de Fatma, est souvent associée à un bleu très vif. Même chose pour l’œil protecteur, ce petit talisman rond, bleu et blanc, qu’on accroche aux murs ou qu’on porte autour du cou. Le bleu ici ne calme pas, il protège. Il agit.

Un bleu qui respire l’eau et le ciel

Dans des terres brûlées par le soleil, le bleu est une bouffée d’air. Il rappelle l’eau rare, le ciel immense, la mer parfois lointaine. On le peint pour faire baisser la chaleur, mais aussi pour se rappeler que la fraîcheur existe. Que tout n’est pas sec, aride, clos. Le bleu ouvre.

C’est peut-être pour cela qu’on le retrouve dans les hammams, les mosquées, les patios ombragés. Il crée de la paix, sans endormir. Il apaise sans effacer. C’est une couleur qui laisse l’esprit circuler, mais garde l’âme ancrée. Elle vous enveloppe sans vous enfermer.

La couleur de la foi, mais discrètement

Contrairement au blanc, associé à la pureté rituelle, ou au vert, couleur du paradis en Islam, le bleu est plus discret. Mais il est là. Dans les tapis de prière. Dans les faïences. Dans les enluminures anciennes. Il murmure plus qu’il n'affirme.

On dit parfois que le bleu est la couleur de la contemplation. Celle qu’on regarde quand on veut se recentrer. Celle qui vous permet de méditer, d’entrer doucement en vous. Il ne cherche pas à impressionner. Il vous prend la main. Il vous ralentit.

Le bleu dans les vêtements : entre élégance et message

Dans certaines régions, porter du bleu n’est pas neutre. Chez les Touaregs, par exemple, le bleu indigo est la couleur des chechs (ou tagelmusts). Ces longs voiles, teintés naturellement, sont portés autour de la tête et du visage. Et ce n’est pas uniquement pour se protéger du sable.

Le bleu sur la peau laisse une trace, une teinte bleutée presque sacrée. On les surnomme même “les hommes bleus”. Là encore, le tissu devient mémoire, présence, identité. Et la couleur devient une part de soi.

Dans les habits du quotidien, le bleu foncé évoque aussi la retenue, la pudeur, l’élégance silencieuse. Il est sobre, mais jamais fade. Il sait se faire oublier, tout en affirmant une certaine profondeur.

Une teinte sacrée dans l’art et l’architecture

Impossible de parler du bleu sans évoquer les mosaïques orientales, les dômes d’Uzbekistan, les coupoles perses. Le turquoise, le bleu ciel, le bleu de cobalt, le bleu nuit… toutes les nuances sont convoquées dans l’architecture sacrée.

Ces bleus-là ne sont pas choisis au hasard. Ils connectent le ciel et la terre, l’homme et le divin. Ils décorent, mais surtout ils élèvent. Le regard se perd dans les motifs, dans les géométries infinies. Et cette perte est voulue. Le bleu, ici, invite à s’oublier un instant pour sentir autre chose. Quelque chose d’invisible.

Et puis il y a un bleu qui ne passe jamais inaperçu : le bleu Majorelle. D’une intensité rare, entre outremer et cobalt, il a été mis au point par le peintre Jacques Majorelle à Marrakech. Il couvre les murs du célèbre jardin du même nom, mais on le retrouve aujourd’hui bien au-delà. Ce bleu-là ne chuchote pas, il frappe, il hypnotise. Il est devenu emblématique du Maroc, un pont entre l’art, la nature et le sacré.

Bleu et spiritualité : entre silence et vibration

Ce qui revient toujours avec le bleu, c’est le silence. Il n’est pas bavard, pas lumineux comme le jaune, pas charnel comme le rouge. Il vibre doucement, à l’intérieur. Il invite à l’écoute, à l’introspection. Il ne veut pas conquérir. Il veut accompagner.

Dans certaines approches spirituelles soufies, on associe le bleu au souffle, à la vérité intérieure. Il est lié à l’élément air, mais aussi à l’invisible. Il n’impose rien, mais il suggère tout.

Et aujourd’hui ?

Le bleu a traversé les siècles et les frontières. On le retrouve dans les céramiques modernes, dans les foulards, dans les intérieurs, dans les objets de décoration inspirés du Maroc ou de la Turquie. Il s’est adapté. Mais il n’a rien perdu de sa force.

Même dans un jean, il reste ce qu’il a toujours été : une couleur protectrice, vivante, enracinée. Une couleur qui vous regarde sans vous juger. Une présence discrète, mais essentielle.

À retenir

  • Le bleu est une couleur de protection dans les cultures du Maghreb et du Moyen-Orient.
  • Il est lié à l’eau, au ciel, à la fraîcheur, à l’apaisement.
  • Il s’inscrit dans l’architecture, les textiles, les objets rituels ou décoratifs.
  • Il porte une charge spirituelle discrète, mais constante.
  • Et aujourd’hui encore, il reste une couleur à la fois intime et universelle.

À propos de Salima Bachar

Salima Bachar est autrice pour La Maison des Sultans. Elle écrit avec la mémoire du sable, la douceur des rituels anciens et la richesse des secrets glissés entre les fêtes lumineuses et les rêves qui veillent. Beauté, bien-être, maison, voyages… Ses textes célèbrent les gestes discrets, les traditions vivantes et les symboles qui traversent le temps. Entre matières naturelles et récits sensibles, sa plume relie l’intime à l’universel, avec une voix sensorielle et profonde.

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Salima répond toujours : contact.lamaisondessultans@gmail.com

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