
Nafs en Islam : sens, types et combat intérieur
par Salima Bachar
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Nafs en Islam : ce combat intérieur que personne ne voit
Ce n’est pas un ennemi. Mais ce n’est pas un allié non plus.
Le Nafs, dans la tradition islamique, c’est cette voix intérieure qui chuchote… parfois trop fort. Ce n’est ni le cœur, ni l’âme. C’est ce souffle un peu sauvage, ce moi intérieur qui veut, qui désire, qui tire vers les plaisirs immédiats. Un peu comme un enfant capricieux qu’il faut calmer sans l’écraser.
Certains le traduisent par ego. Mais c’est plus subtil que ça. Parce que le nafs, il évolue. Il peut être une bête affamée, ou un oiseau en cage qui finit par chanter juste.

Trois visages. Trois états. Trois combats.
Dans le Coran, le nafs n’a pas qu’un seul costume. Il en a trois.
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An-nafs al-ammarah : l’instinct brut, le "je veux" sans frein. C’est ce nafs qui pousse à mentir, à jalouser, à se mettre en colère pour rien. Il prend toute la place. Et il adore ça.
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An-nafs al-lawwamah : celui qui regrette, qui se débat. Il fait une erreur, puis se blâme. Il essaie. Il retombe. Il recommence. C’est le nafs de ceux qui ont un pied dans la foi, un autre dans la tentation.
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An-nafs al-mutma’innah : le plus doux, le plus rare aussi. C’est le nafs apaisé. Celui qui ne cherche plus à dominer, mais à s’aligner. Il a trouvé la paix… ou au moins, il l’approche.
On les traverse comme des saisons. Parfois même dans la même journée.
Un jihad qui ne laisse aucune trace visible
Quand on parle de "jihad an-nafs", on ne parle pas d’un combat extérieur. Pas d’armure. Pas d’adversaire à pointer du doigt. Non. Ce combat-là, il est invisible. Mais il épuise. Il gratte là où ça fait mal. Il fait suer sans courir.
C’est lutter contre ce "vas-y" qui pousse à juger, à rabaisser, à céder à la flemme ou à l’arrogance. C’est dire non, alors que tout en vous hurle oui. C’est choisir le silence, parfois, quand on a mille choses à balancer.
Et franchement ? C’est usant. Mais c’est là que naît la lumière.
Le nafs, il se dresse comme un animal. Puis, il se dresse comme un sage.
On dit souvent que le nafs, il faut l’éduquer. Mais pas comme on dompte une bête féroce. Plutôt comme on élève un enfant à devenir adulte. Avec patience. Avec amour. Et avec fermeté aussi.
Certains soufis utilisaient des images fortes : ils disaient que le nafs, c’est un âne rebelle. Si tu le nourris trop, il te monte dessus. Si tu ne le nourris pas assez, il s’effondre. Il faut lui donner juste ce qu’il faut. Et garder les rênes.
Dans les gestes simples, il se manifeste
Quand on choisit de pardonner, alors qu’on pourrait se venger. Quand on baisse le regard, alors qu’on aurait pu scruter. Quand on partage, même avec peu… Là, sans tambour, sans effet spécial, c’est un petit triomphe sur le nafs.
Et parfois, on tombe. On craque. On s’énerve, on juge, on claque la porte. C’est normal. Ce qui compte, c’est le retour. C’est ce moment où on se dit "mince… j’ai écouté la mauvaise voix". Et on recommence.
Le jeûne ? C’est la salle d’entraînement du nafs
Il y a un moment, dans l’année, où tout le monde, ou presque, entre en combat rituel avec son nafs : le mois de Ramadan. Moins manger, moins parler, moins s’éparpiller. C’est là qu’on voit le vrai visage de ce qu’on porte en nous.
La faim réveille. Elle révèle. Et souvent, elle pique un peu. Parce que le nafs ne lâche rien facilement. Il râle. Il tente des détours. Mais à force… il se calme.
Et vous savez quoi ? C’est beau à vivre.
Le nafs et l’amour propre : ce fil ténu à ne pas casser
Attention à ne pas confondre tuer son nafs avec se haïr. Ce n’est pas le but. L’Islam n’a jamais dit qu’il fallait s’annuler pour être pieux. Non. Il faut apprendre à se connaître. À se regarder sans filtre. À comprendre ce qui, en nous, agit comme un tyran déguisé en sauveur.
On peut aimer qui on est… tout en sachant qu’on peut mieux faire. C’est ça, le secret.
L’Islam vous invite à négocier avec votre propre théâtre intérieur
Le Coran ne parle pas du nafs comme d’un démon. C’est plus complexe que ça. Il est là, en vous. Il a ses caprices. Mais il a aussi ses élans nobles. Il peut vous pousser à envier… ou à créer. À vous mettre en colère… ou à défendre l’injustice.
Le nafs, c’est une matière vivante. Et vous êtes l’artiste.

FAQ
Qu’est-ce que la nafs dans le Coran ?
Le mot nafs apparaît plus de 270 fois dans le Coran. Il désigne tantôt la personne, tantôt ce qu’elle porte d’intérieur. Dans Sourate Al-Chams (91:7-10), on lit :
« Et par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée,
et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa piété !
A réussi, certes, celui qui la purifie.
Et est perdu, certes, celui qui la corrompt. »
Tout est là. La nafs est malléable. Elle peut se salir ou s’élever. C’est un champ de bataille intime, mais aussi un jardin à cultiver.
Quelles sont les trois nafs en Islam ?
Le Coran évoque trois états :
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An-nafs al-ammarah bis-su’ (Coran 12:53) :
« Je ne m’absous pas moi-même. Car l’âme est certes incitatrice au mal. »
C’est la nafs qui pousse à la faute sans remords. -
An-nafs al-lawwamah (Coran 75:2) :
« Et Je jure par l’âme qui ne cesse de se blâmer. »
Celle qui reconnaît ses erreurs, qui lutte, qui s’en veut. Une âme en plein travail. -
An-nafs al-mutma’innah (Coran 89:27-30) :
« Ô toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée. »
Elle a trouvé la paix. Pas en fuyant la vie. Mais en l’embrassant avec foi.
C’est quoi le jihad nafs ?
Le Prophète ﷺ a dit à ses compagnons revenant d’un combat :
« Nous revenons du petit jihad pour le grand jihad. »
— « Et quel est le grand jihad, ô Messager d’Allah ? »
— « Le combat contre l’âme. »
Ce hadith, rapporté par Bayhaqi, souligne que le vrai défi n’est pas toujours ce qui se passe dehors… mais ce qui mijote dedans.
Quelle est la différence entre nafs et rouh ?
Le rouh vient d’Allah. Il est pur, immaculé, et intouchable par le péché. C’est ce qui donne vie, mais c’est aussi ce lien spirituel direct avec le divin.
Le nafs, lui, c’est plus complexe : il a des élans bas et des aspirations hautes. Il peut tomber. Il peut s’élever. Il est humain.
On pourrait dire : le rouh écoute, la nafs discute. Et souvent… elle discute fort.
Peut-on vivre sans dompter son nafs ?
On peut. Mais souvent à ses dépens. Le nafs livré à lui-même, c’est un peu comme laisser un enfant conduire un camion. Ça file droit… dans le mur. Et parfois, ce mur, c’est la colère, l’envie, la rancune.
Comment savoir si son nafs nous domine ?
Quand on agit sans recul, quand le désir prend toute la place, quand on coupe la parole pour exister, ou qu’on n’accepte pas d’être contrarié… c’est souvent le nafs au volant. Pas le cœur. Encore moins la sagesse.
Le soufisme parle-t-il aussi du nafs ?
C’est même un pilier. Certains maîtres soufis ont défini 7 degrés du nafs, comme des paliers à franchir :
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An-nafs al-ammarah
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An-nafs al-lawwamah
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An-nafs al-mulhimah (inspirée)
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An-nafs al-mutma’innah (apaisée)
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An-nafs ar-radiyah (satisfaite)
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An-nafs al-mardiyyah (agréée)
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An-nafs as-safiyyah (purifiée)
Chaque étape demande du mujahada (effort). Mais aussi beaucoup d’amour de Dieu.
Quel lien entre nafs et tentation ?
La tentation est le terrain de jeu préféré du nafs. Elle surgit. Elle séduit. Elle appâte. Le nafs, selon son état, y court ou y résiste. Et dans cette résistance se cache une immense récompense, comme l’indique le Prophète ﷺ :
« Le vrai combattant est celui qui lutte contre son âme dans le sentier d’Allah. » (Hadith authentique – Boukhari)
Est-ce que la nafs disparaît à la mort ?
Non. Elle accompagne l’âme dans l’au-delà. Et ce qu’elle aura été ici… pèsera là-bas. C’est pourquoi purifier sa nafs, c’est préparer sa suite. Un peu comme on range une valise avant un long voyage.
Le nafs est-il lié aux djinns en Islam ?
Non, le nafs et les djinns sont deux choses distinctes en Islam.
Le nafs désigne la part intérieure de l’être humain, celle qui oscille entre le bien et le mal. C’est ce qu’on pourrait appeler le "moi intérieur", parfois capricieux, parfois sage. Il fait partie de vous.
Les djinns, eux, sont des créatures créées par Dieu à partir d’un feu subtil, mentionnées dans le Coran. Ce sont des êtres à part entière, dotés de libre arbitre, invisibles aux humains, mais pouvant interagir avec eux.
On les confond parfois car les deux peuvent inciter à mal faire :
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Le nafs pousse à céder à ses passions
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Certains djinns, notamment les shayatine (démons), soufflent des pensées mauvaises
Mais leur origine est différente :
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Le nafs est intérieur et fait partie de vous
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Le djinn est extérieur et totalement indépendant
Dans la tradition islamique, le véritable combat spirituel se joue d’abord contre son propre nafs. Le rôle des djinns dans les tentations existe, mais il est secondaire face à la responsabilité individuelle.